
Il est de plus en plus fréquent de lire des textes recourant à l’écriture inclusive, c’est-à-dire une écriture visant à effacer la distinction des genres et la suprématie du masculin sur le féminin. Est-ce un effet de mode à l’ère où l’on estime que les femmes travaillent gratuitement dès le 6 novembre, compte tenu des écarts salariaux entre les sexes ?
Maman fait les gâteaux, papa coupe le bois. On parle quasi systématiquement d’une assistante de direction, mais d’un chef d’entreprise. Ou, très récemment, on affirme encore qu’une femme est « plus belle avec des cheveux longs », « les cheveux courts, c’est pour les hommes » (courage à Ève Gilles). Tous ces exemples sont des stéréotypes de sexe, des images imprégnées dans le mental collectif, définissant ce que doit être une femme et ce que doit être un homme.
Pourtant, en 2024, papa aimerait aussi élever ses enfants au foyer tandis que maman adore gérer la société qu’elle a créée. D’ailleurs, on peut avoir deux mamans ou deux papas unis par les liens du mariage depuis le 17 mai 2013. Qui coupe le bois, dans ce cas-là ?
Oui, mais voilà : dans la fiche des renseignements relatifs aux parents que remplit un enfant, il est encore indiqué « profession de ton père / profession de ta mère ». Un exemple qui peut paraître anodin. Pourtant, il illustre à merveille les problèmes que tente de résoudre l’écriture inclusive. Pourquoi ?
Parce que la langue française véhicule, par sa construction, des tournures qui sont inadaptées en 2024. La langue est le reflet d’une société à une époque donnée. Tout du moins, c’est ce qu’en disent les fervents défenseurs de l’écriture inclusive ainsi que le Haut Conseil à l’Égalité entre les femmes et les hommes. Cet organisme a été créé le 3 janvier 2013 sous le gouvernement de François Hollande et « a pour mission d’assurer la concertation avec la société civile et d’animer le débat public sur les grandes orientations de la politique des droits des femmes et de l’égalité ». Mission accomplie : le débat existe et il divise !
Qu’est-ce que l’écriture inclusive ?
L’agence de communication d’influence Mots-Clés a défini cette nouvelle forme d’écriture comme « l’ensemble des attentions graphiques et syntaxiques qui permettent d’assurer une égalité de représentation des deux sexes » (à retrouver dans son manuel d’écriture inclusive).
L’entreprise établit ainsi trois grands principes :
- accorder en genre les noms de métiers, fonctions, grades ;
- utiliser à parts égales le féminin et le masculin au travers des énumérations dans l’ordre alphabétique, l’usage du fameux point médian ou les termes épicènes ;
- cesser d’employer les antonomases des noms communs « Femme » et « Homme ».
L’objectif principal est donc d’adapter la langue française aux problématiques actuelles et identifiées de notre société : l’inégalité entre les femmes et les hommes et la perpétuation (consciente ou non) de schémas traditionnels restrictifs.
Les métiers et autres fonctions
« C’est bizarre de dire doctoresse » ; ça l’est peut-être pour vous qui vivez au XXIe siècle, mais ça ne l’était pas pour quelqu’un du XVIe siècle. Quoi, comment ça ? Eh oui, sachez qu’avant le XVIIe siècle, tous les métiers possédaient leur équivalence au féminin. Puis la société serait devenue quelque peu misogyne et aurait décidé que de nombreuses fonctions ne pouvaient plus être accessibles aux femmes. On aurait estimé que l’homme serait supérieur à la femme et le fameux « le masculin l’emporte » serait né.
D’ailleurs, dans les cahiers préparatoires du premier dictionnaire de l’Académie française (1647), il est précisé que « l’orthographe servira à distinguer les gens de lettres des ignorants et des simples femmes ». Tout de suite, on comprend à quel rang ont été reléguées les femmes. Ce n’est donc pas nouveau de féminiser un métier. Mais il semblerait qu’au XVIIIe siècle, les esprits se soient fermés.
Point médian, termes épicènes et autres petites joyeusetés
L’écriture inclusive préconise les énumérations par ordre alphabétique. Par exemple : « tous et toutes » (le s avant le t), mais « les lycéennes et les lycéens » (le n avant le s).
« Les cent femmes et les deux hommes sont beaux. » Voilà une règle que l’écriture inclusive pourrait remettre au goût du jour : l’accord selon le sens. Dans le cas précédent, il n’y a que deux hommes et cent femmes. Il serait donc plus juste d’accorder en fonction du nombre. À noter que l’agence Mots-Clés qui a rédigé le manuel n’applique pas cet accord bien qu’elle soit en sa faveur.
En ce qui concerne le point médian, il permet de représenter les femmes et les hommes (le f avant le h 😉) : les dessinateur·rices. Le manuel vous précise comment bien employer ce nouveau signe.
Quant aux termes épicènes, ils désignent à la fois le féminin et le masculin (membre, scientifique, personne, artiste, élève, etc.).
Les antonomases des noms communs « Femme » et « Homme »
Déjà, redéfinissons ce qu’est une antonomase. D’après Le Robert, il s’agit de la « désignation d’une personne par un nom commun ou une périphrase qui la caractérise, ou par le nom d’un personnage typique ». Pour illustrer cette définition, nous pouvons citer un « Don Juan » qui signifie une personne aimant séduire sans scrupule.
Revenons aux termes « Femme » et « Homme ». Un exemple concret d’une formulation vivement critiquée aujourd’hui : « la journée de la Femme » (le 8 mars). Le substantif « Femme » avec un grand F peut renvoyer aux valeurs de féminité, de sexualité féminine et du fantasme qu’elle engendre dans les esprits. On privilégiera donc « la journée des droits des femmes », une tournure plus précise et moins controversée.
Un débat houleux sur l’écriture inclusive
Les équipes s’affrontent avec férocité sur le terrain de l’égalité des sexes au travers de la langue française ! D’un côté, les défenseurs assurent que l’écriture inclusive est primordiale :
- dans la lutte contre l’inégalité entre les femmes et les hommes ;
- pour rendre visibles les femmes au sein de la société moderne ;
- afin d’éradiquer les rôles sociaux traditionnels (« en bon père de famille » ; « mademoiselle ») et bannir les conventions sexistes.
Lorsqu’à l’école on inculque aux enfants « le masculin l’emporte sur le féminin », quel message silencieux cela peut-il transmettre ?
De l’autre côté, les opposants à cette nouvelle forme graphique mettent en avant :
- l’intelligibilité de la langue ;
- le fait que le masculin ait une valeur générique ;
- qu’il s’agit d’un débat secondaire, d’autres moyens existent pour favoriser l’égalité femmes/hommes ;
- l’exclusion des personnes ayant un handicap dont l’accès à un texte repose sur l’usage de la fonction vocale qui ne peut prendre en charge l’écriture inclusive ;
- la mise en péril de l’héritage de la langue ;
- qu’on renforce ce qu’on essaie d’éliminer : en supprimant le neutre masculin, on obtient des formulations telles que « la meilleure des artistes ». Hélas, grammaticalement, cela est différent de « le meilleur des artistes ». En effet, dans la première suggestion, il s’agit de « la meilleure » parmi les « artistes de sexe féminin » alors que dans la seconde, il s’agit de « la meilleure parmi les artistes, peu importe le genre ».
Il existe encore une multitude de points détaillant les dangers de l’écriture inclusive que vous pouvez lire ici.
Si vous êtes contre l’écriture inclusive et que vous brandissez ces arguments, on vous répondra que :
- Les études ont montré que l’œil s’habitue à ce type d’écriture. D’ailleurs, si vous lisez un texte dont chaque mot comporte des lettres inversées (hormis la première et la dernière), vous serez parfaitement capable de le déchiffrer. Rageredz, vuos y ariverz !
- Le masculin n’est pas neutre et véhicule des concepts intériorisés. La devise de la République française nous l’impose inconsciemment « liberté, égalité, fraternité ». L’origine latine de « fraternité » est frater, signifiant « frère ». L’équivalent neutre de « fraternité » est « solidarité », mais les femmes ont pourtant été exclues du concept. Imaginez, si l’on avait privilégié « sororité » ?
- Une langue est en constante évolution et dépend de la société qu’elle reflète à une époque donnée. Elle vit grâce aux différents canaux de diffusion et non pas en raison d’une mise à jour grammaticale.
Qu’en dit l’Académie française ?
Ah, le sujet qui fâche ! L’Académie française est avant tout une autorité d’ordre moral et sa fonction principale est définie comme « travailler […] à donner des règles certaines à notre langue et à la rendre pure, éloquente et capable de traiter les arts et les sciences » (article XXIV des statuts de l’Académie française).
Elle ne fait donc pas figure de pouvoir incontestable, mais reste une grande référence pour les questions relevant de la langue.
Dans une lettre ouverte en 2021, l’Académie française met en garde contre l’utilisation de l’écriture inclusive qu’elle décrit comme un « péril mortel ». Elle soulève la question suivante : « Comment les générations à venir pourront-elles grandir en intimité avec notre patrimoine écrit ? »
Mais de quel patrimoine parle-t-on, au juste ?
Une langue évolue par l’usage de ses pratiquants, mais aussi au travers des modes de communication. Ainsi, il est incontestable que les réseaux sociaux modifient cette langue à une époque où près de la moitié de la planète possède un compte sur Facebook, Instagram, TikTok et autres réseaux. Une langue s’adapte à son environnement au point que le terme « instagrammable » est entré dans les pages du Larousse. Dans quelques années, « instagrammable » fera donc bien partie de ce patrimoine écrit. Peut-on alors parler de danger imminent en intégrant un adjectif formé à partir d’un nom commercial ? Est-ce plus dangereux que l’inégalité entre les femmes et les hommes ? À méditer.
Par ailleurs, il est intéressant de souligner que l’Académie française est composée de 35 membres, dont 29 hommes et 6 femmes.
La sous-représentativité de la gent féminine interroge sur l’objectivité du débat au sein même de l’institution.
Et le gouvernement ?
Divers projets de loi ont été soumis à plusieurs reprises par l’Assemblée nationale visant à sauvegarder la langue française et à réaffirmer la place fondamentale de l’Académie française. Si on lit entre les lignes, cela signifie interdire l’écriture inclusive.
Certaines circulaires gouvernementales proscrivent déjà les règles de l’écriture inclusive, notamment au sein des administrations étatiques. Pour autant, quelques-unes d’entre elles passent outre comme l’université Clermont-Auvergne (UCA) qui a instauré une « charte pour une communication inclusive à l’UCA ».
Également, le président de la République, Emmanuel Macron, a fait part de son avis lors de l’inauguration de la Cité de la francophonie à Villers-Cotterêts le 30 octobre 2023 en affirmant que « le masculin fait le neutre », qu’il ne « faut pas céder aux airs du temps » et qu’on « n’a pas besoin de rajouter des points au milieu des mots pour la [N.D.L.R. : langue française) rendre visible ». Un discours qui interroge ; le Président a-t-il compris que l’objectif premier de l’écriture inclusive n’est pas la « visibilité » ?
L’anecdote
En 2014, Julien Aubert, député UMP, s’est vu infliger une sanction financière (suppression d’un quart de son indemnité parlementaire) pour avoir maintenu les termes « Madame le Président » envers la socialiste Sandrine Mazetier. Pourtant, il ne faisait que respecter les usages de la langue recommandés par l’Académie, à savoir « la présidente » signifiant « femme du président », ainsi que la règle interdisant de féminiser des professions.
En conclusion, il est difficile de parler d’un effet de mode lorsque l’on sait qu’une langue évolue en permanence selon la société à une époque donnée. Ce qui est certain, c’est que le gouvernement actuel n’est pas favorable à l’usage de cette écriture inclusive et que, malgré une communauté grandissante, l’écriture inclusive va connaître encore de nombreux obstacles avant de pouvoir s’imposer, si tant est qu’elle y parvienne. Le débat reste très vif et chaque jour, les internautes s’affrontent sur ce sujet.
Si vous souhaitez rédiger des textes en écriture inclusive, mais que vous n’êtes pas encore à l’aise avec le concept, je veux vous accompagner. Discutons-en !